Légendes et mythes des constellations
Dès l'Antiquité grecque, des récits fabuleux investissent le ciel afin d'établir des correspondances entre l'ordre terrestre et celui du cosmos.
Le ciel raconte des histoires. La grande histoire de l'Univers, bien sûr, mais aussi les petites histoires imaginées par les humains au fil des nuits passées à contempler la voûte céleste. Ces légendes, ces mythes, organisent le ciel et tentent de trouver des correspondances cosmiques à l'ordre terrestre. Transmises oralement, fixées depuis l'Antiquité grecque dans des traités savants, certaines sont parvenues jusqu'à nous. A tel point qu'aujourd'hui, la géographie stellaire partage le ciel en constellations qui portent des noms mythologiques : Persée, Orion, Hercule...
Bien sûr, les formes et les appellations des constellations ont beaucoup évolué au fil du temps. Pour mettre un peu d'ordre dans ce ciel de l'imaginaire, l'Union astronomique internationale a donc décidé, dans les années 1920, d'en définir strictement les limites. En 1930, Eugène Delporte établit l'atlas officiel des constellations qui divise le ciel en deux parties ( boréale et australe ) en nommant 88 constellations officielles. Et presque autant d'histoires à raconter.
Parfois, plusieurs constellations proches sont liées par un même récit. C'est le cas par exemple du groupe de Persée, Andromède, Céphée, Cassiopée, Pégase et la Baleine, six constellations qui occupent une large portion du ciel boréal.
Céphée, roi d'Ethiopie, est marié à la resplendissante Cassiopée, et ils ont ensemble une fille, Andromède, symbole de grâce et de douceur. Lors d'une fête, Cassiopée apparaît dans la lumière du Soleil, si belle que le peuple en a le souffle coupé. Une seule voix s'élève : « Notre reine est belle, plus belle encore que les Néréides , les filles de la mer ! » Au pied de la falaise toute proche, les vagues s'immobilisent : Poséidon, père des Néréides, mûrit sa colère. Et soudain, c'est le déchaînement : six jours durant, les tempêtes se succèdent, ruinant la région. Au septième jour, le prêtre de Poséidon annonce que pour laver l'honneur des Néréides, le dieu réclame la vie d'Andromède. Cassiopée s'effondre en larmes, tandis qu'Andromède se laisse attacher à un rocher battu par la houle. A l'horizon, se profile une grande ombre menaçante qui fend les vagues comme l'éclair...
Au même moment, le demi-dieu Persée survole les flots hyperboréens en portant sur son dos la tête de Méduse qu'il vient de décapiter. Du corps agonisant de la cruelle Gorgone surgit le fruit de son union avec
Poséidon : un cheval blanc aux ailes immaculées nommé Pégase. Enfourchant le noble animal, Persée fuit la fureur des sœurs de Méduse et se met à errer au-dessus des mers. Jusqu'à se trouver face au rocher d'Andromède...
Au pied du rocher, Persée voit une baleine géante ouvrir son immense gueule pour engloutir la jeune fille. N'écoutant que son courage, il surgit des noirs nuages et fond l'épée au poing sur le monstre marin. Le combat est dantesque. La bête se débat, frappe l'eau de son immense queue. Mais Persée lui assène un dernier coup mortel. La bête plonge vers les abysses, tandis que Persée délivre Andromède. Pour le remercier, Céphée lui offre sa fille en mariage. Tout est bien qui finit bien ? Pas tout à fait. Car certaines légendes disent que Cassiopée fut finalement punie pour son orgueil. Les dieux l'ont enchaînée à son trône et condamnée dans le ciel à tourner autour du pôle nord, ce qui l'oblige parfois à se tenir la tête à l'envers, attitude très peu digne d'une souveraine si magnifique !
De ces figures célestes, seul Pégase semble plonger ses racines au-delà de la mythologie grecque, puisque l'on retrouve un cheval au même endroit dans le ciel babylonien. Les Babyloniens voyaient également un corbeau là où se dessine notre actuelle constellation du Corbeau. Il est plus difficile en revanche de trouver l'origine de son voisin Ophiuchus, le « Serpentaire » associé à la sinueuse constellation du Serpent. Peut-être ce porteur de serpent est-il issu de la mythologie égyptienne ? Quoi qu'il en soit, les Grecs eurent tôt fait d'assimiler ces personnages étrangers en une légende syncrétique, inscrite au ciel en quatre constellations : Ophiuchus, le Serpent, le Corbeau et le Sagittaire.
Dès le deuxième siècle avant notre ère, l'astronome grec Eratosthène assimile en effet Ophiuchus à Asclépios ( Esculape en latin ), un personnage à la destinée mouvementée. Sa mère, la superbe Coronis, fut séduite par Apollon avant de tomber sous le charme d'un humble mortel, l'Arcadien Ischys. Ses amours terrestres furent découvertes par un corbeau aux ailes bleues qui rapporta à Apollon la funeste nouvelle. Ivre de colère, le dieu de la Beauté la transperce d'une flèche. La jeune fille révèle alors qu'elle porte en elle l'enfant d'Apollon. Selon la tradition, le corps de Coronis est brûlé sur un bûcher, surveillé par le corbeau bleu dont les ailes deviennent bientôt aussi noires que les branches calcinées. Mais soudain, Apollon écarte les nuages et descend au milieu des flammes pour arracher un bébé du ventre de Coronis. C'est Asclépios, qu'il confie à Chiron, le plus noble et le plus savant des centaures. Le centaure, traditionnellement associé au Sagittaire, va éduquer l'enfant, lui enseignant la médecine des plantes et la chirurgie. Il lui fit connaître également les vertus du venin des serpents, ce qui valut à Asclépios le titre de « maître des serpents » ou Serpentaire.
Devenu adulte, Asclépios descend chez les humains et s'établit à Epidaure. Sa réputation de médecin et son savoir s'étendent un peu plus chaque jour. On vient de loin pour bénéficier de ses soins. Un jour, c'est Thésée, le roi d'Athènes, qui frappe à sa porte. Il porte dans ses bras son fils Hippolyte, cruellement blessé par un monstre marin dépêché par Poséidon. La mort étend déjà son ombre sur le jeune homme, mais le génial Asclépios parvient à le faire revenir parmi les vivants. Ce faisant, il viole la frontière intangible qui sépare le monde des vivants et celui des morts. Zeus ne peut l'autoriser et fait tomber la foudre sur Asclépios. Et pour rappeler aux humains les bienfaits de la science et ses limites, il dessine dans le ciel la silhouette du célèbre médecin d'Epidaure tenant un serpent dans ses mains. Non loin de lui, le Sagittaire - c'està-dire Chiron le Centaure - tire une flèche vers la Voie lactée, accompagné par le Corbeau désormais noir comme la nuit.
Plusieurs des constellations impliquées dans des légendes grecques s'inscrivent également dans le zodiaque des astrologues. C'est le cas du Sagittaire ci-dessus ou encore du Scorpion, associé à la constellation d'Orion.
Orion est le fils de la Terre et d'Hyriée, roi de Thèbes. La Terre étant mère de géants, Orion acquiert en grandissant une taille et une force extraordinaires, ainsi qu'une remarquable adresse à la chasse. Fort de ces dons, il débarrasse l'île de Chios de ses serpents géants. En Crète, la déesse chasseresse Artémis lui donne un chien géant qui rapporte toutes les proies tuées par son maître. Désormais, Orion est sûr que plus rien ni personne ne peut échapper à ses ardeurs chasseresses, et il fanfaronne auprès d'Artémis.
La Terre, sa mère, est terriblement offensée et ses entrailles s'ouvrent pour laisser passer un scorpion géant. Paralysé par la peur, Orion est frappé au pied par le dard venimeux du Scorpion. Emue par la mort d'Orion, Artémis demande à Zeus d'immortaliser dans le ciel ce Grand Chasseur en compagnie de son chien : ce seront donc les constellations d'Orion et du Grand Chien. Le dieu du ciel s'exécuta mais plaça aussi le Scorpion parmi les constellations, en intimant à ce dernier l'ordre de disparaître dès qu'Orion apparaîtrait dans le ciel.
Bien sûr, les versions de ces mythes diffèrent selon les auteurs, les époques et les régions. La palme de la diversité revient sans conteste à la constellation de la Grande Ourse. Ce groupe d'étoiles parfaitement reconnaissable, qui reste dans le ciel de notre hémisphère toute la nuit et toute l'année et indique le point cardinal nord, a inspiré un grand nombre de légendes.
Les Babyloniens y voyaient un chariot et Homère rapporta cette appellation. L'origine du nom Grande Ourse doit plutôt être cherchée du côté des peuples indo-européens du Nord. Les habitants de l'Inde ont vraisemblablement hérité également de cette tradition indo-européenne, puisqu'ils l'appellent « les Ours ». Lorsque l'on sait qu'au départ les noms des constellations désignaient surtout des étoiles, on peut penser que cette appellation désignait une ourse ( le quadrilatère de la casserole ), suivie par ses trois oursons ( les trois étoiles alignées du manche ). Plus tard, les Grecs, peu familiers des ours, gardèrent le nom au singulier et tentèrent de dessiner une ourse à laquelle ils attribuèrent une invraisemblable longue queue ! Et, toujours en veine de mythes, ils forgèrent une légende autour de la Grande Ourse.
L'histoire se trame dans les forêts impénétrables d'Arcadie ou bêtes sauvages et nymphes, des vierges dévouées à la déesse chasseresse Artémis, vivent en harmonie. Un jour, l'une de ces nymphes, la radieuse Callisto, est surprise par Zeus près d'une source verdoyante. Émerveillé, il s'unit à elle et bientôt le ventre de Callisto s'arrondit. Elle est aussitôt répudiée par la déesse Artémis qui, pour la punir, la transforme en ourse. L'enfant naît et est confié au roi Lycaon par les autres nymphes. Prénommé Arcas, il grandit et devient un grand chasseur. Un jour, alors qu'il poursuit une ourse, celle-ci lui fait face, s'exposant à une mort certaine. Arcas lui décoche une flèche en plein cœur, mais elle n'atteint jamais son but : l'animal s'est évanoui, soustrait à la mort par Zeus qui lui donne le ciel pour refuge. A sa mort, Arcas rejoindra finalement sa mère à tout jamais, puisqu'il fut immortalisé par les Grecs sous forme de la brillante étoile Arcturus !
Sylvie Rouat
Source : http://www.sciencesetavenir.fr/magazine/dossier/093510/legendes-et-mythes-des-constellations.html[u]