Depuis le 19ème siècle, des physiciens francs-tireurs ont défendu l'idée que l'information est le concept fondamental de la physique théoriqueLes travaux de Verlinde qui font sortir la gravitation d'une sorte d'écran d'hologramme semblent vouloir concrétiser la célèbre formule du physicien américain John Archibald Wheeler, selon laquelle "tout provient de l'information". Plutôt qu'une force fondamentale d'origine matérielle, Erik Verlinde propose en effet de considérer que la force de gravité émerge d'un maelström d'informations crépitant sur la frontière de notre univers.
La vision est enivrante: à l'instar des mondes virtuels s'affichant à l'écran des ordinateurs, chaque élément du monde (particule, champ, force , espace-temps) émergerait d'un processus de traitements de "O" et "1"Ce que nous prenons pour la réalité, ce monde alentour avec ses planètes qui tournent et ses pommes qui tombent, ne serait qu'une sorte d'hallucination, un mirage issu d'un flot confus d'informations.
On comprend que cette proposition fasse quelques remous parmi les spécialistes des théories de la physique fondamentale. D'autant que, si tout le monde comprend intuitivement ce qu'est l'information, personne n'a pu jusqu'içi la définir clairement. De quoi est-elle faite? Qui l'émet? Qui la transporte? Qui la reçoit? Même ces questions élémentaires font polémique!
Pour les uns, aussi mal définie soit-elle, l'information est un paramètre essentiel de la physique qu'il faut intégrer au plus vite aux théories fondamentales comme la mécanique quantique et la relativité générale. Pour les autres, si le concept est vague, c'est qu'il n'a pas d'existence... ailleurs que dans l'esprit des premiers, et qu'il faut l'exclure à tout prix de la physique, censée parler du monde réel!
Derrière ce débat, il est cependant un phénomène que nul ne conteste: depuis cent cinquante ans, un courant "informationnel" se répand dans tous les domaines de la physique. Comment une entité aussi mal taillée a-t-elle pu envahir cette science dure? C'est l'effet d'un long combat, de prises de bec et de coups de génies.
Dès sa première manifestation, à la fin du 19ème siècle, cette notion a donné la fièvre aux physiciens. A l'époque, on ne parlait pas d'"information", mais c'était tout comme. Le mot était alors "probabilités", et c'est James Clerk Maxwell qui l'a prononcé en premier: en 1859, alors que la physique nageait en plein newtonisme ("tout phénomène physique doit être expliqué par une cause physique bien déterminée") le savant écossais se met à reformuler la thermodynamique sur la base de la théorie des probabilités. Pour lui et pour l'autrichien Ludwig Boltzmann, qui achèvera cette refondation dans les années 1870, la température d'un gaz est liée aux probabilités de mouvements des particules qui le composent.
"Cela a terriblement choqué", souligne Anouk Barberousse, chercheur à l'institut d'histoire et philosophie des sciences et techniques de Paris I. Car pour la majorité des savants de l'époque, les probabilités étaient un concept purement subjectif reflétant l'ignorance du physicien face à la nature".
En physique classique, en effet, la probabilité d'un phénomène exprime non pas son existence réelle mais sa possibilité de survenue, étant donné les informations dont dispose le physicien. Par exemple, si un astronome dit qu'il y a 1% de chances qu'une grosse météorite heurte la Terre d'içi 2100, c'est qu'il ne détient pas assez d'informations pour avoir une certitude: cette probabilité est liée à son ignorance. La météorite, elle nous heurtera ou non: "elle nous heurte à 1%" n'est pas une option du monde réel. Or, aux yeux des contemporains de Maxwell et Boltzmann, leur interprétation des équations thermodynamique semble dire le contraire...
(extrait d'un article de Science et Vie de septembre)
Bon donc on est dans la Matrix en somme