Bonjour, je vous fait découvrir une nouvelle que j'ai écrite en 2007
Les temps perdus...Le monde s’enfonçait dans le tourment. Les hommes, captivés par les plaisirs, sillonnaient les villes en tout sens ; elles étaient leurs nids, leur raison de vivre. La campagne laissait pourtant un vague souvenir dans leurs esprits, comme la nostalgie d’une époque révolue où chacun vivait au rythme des saisons.
Amanda se souvenait. En son temps, elle fut l’une des principales instigatrices de ce qu’on appela plus tard : « La Grande Révolution », ce mouvement qui permit à la planète d’échapper à la destruction totale. Á cette époque-là, le temps fuyait et les hommes désespéraient de voir leurs problèmes personnels résolus, ils étaient comme les enfants qui courent après des jouets quand la maison brûle.
Installée dans son fauteuil, la tête dans les nuages, elle revoyait se dérouler cette époque. Combien de jours, combien de nuits s’étaient succédés avec cette peur au ventre, avec cette impossibilité d’une issue, d’une mince perspective. Tout semblait irrémédiablement perdu. Amanda ouvrit lentement les yeux, les murs de sa chambre ne l’enfermaient plus depuis longtemps déjà ; elle avait appris !
Marion, son arrière petite fille, lui rendait très souvent visite. Curieuse de ce passé glorieux et honteux à la fois, elle demandait fréquemment à son arrière grand-mère de lui donner les expressions de cette époque, de lui susurrer à l’oreille ce que d’autres auraient voulu oublier. Mais la vieille femme épuisée ne sentait plus la force de prononcer ces mots-là. Ses mains s’atrophiaient et sa bouche perdait jour après jour le contact avec le monde. Marion observa son aïeule ; celle-ci, le visage penché sur le coté parvenait difficilement à soutenir sa tête : 104 ans, ce n’était pas rien ! Elle s’écarta et la laissa à ses pensées, à son repos, à ce monde passé. Elle connaissait parfaitement tous les événements qui s’étaient succédés durant cette période trouble, mais elle aimait bien entendre de vive voix les témoignages vécus…
Le vent soufflait alors d’une façon imprévisible, il ramenait les relents des "pestilentiels" vers les régions encore vivables et les hommes, angoissés par la peur de mourir, prenaient d’assaut les derniers fiefs de vie.
Que n’eut-il fallu pour arrêter ce train en marche ? Personne ne savait ! Face au désespoir, l’agitation devint si intense que la loi de la jungle refit surface ; ce n’était pas qu’elle avait disparu, mais plutôt que le vernis de la civilisation et des bonnes manières avait su la camoufler. Des combats éclatèrent partout, des groupes de mercenaires se formèrent sur toute la planète et envahirent les lieux encore habitables. Marion se souvenait bien de toutes ces histoires qui avaient abreuvé son enfance ; elle s’intéressait à ce siècle passé, pourtant, tous ces récits funestes lui laissaient un goût âpre dans la bouche, une blessure dans le cœur.
Elle sortit dans le jardin, et sous le ciel bleu où s’éparpillaient quelques nuages insignifiants, elle remercia ce monde qui s’ouvrait devant elle. Chaque jour, chaque heure, chaque seconde qui passait, véritable don de l’existence, lui apparaissait comme le bien le plus précieux. Á cet instant, elle perçut le parfum des fleurs qui s’élevait délicatement comme dans une marque de gratitude, comme un écho en réponse à la bienveillance de son attention. L’onde légère du vent l’effleura sans bruit et la pensée que le nouveau monde était déjà en marche lui procura une joie profonde ; la vie ressurgissait dans les déserts d’insalubrité, la nouvelle était tombée depuis peu…
Il en avait fallu du temps, il en avait fallu des souffrances pour en arriver là !
Angor, son père, pénétra dans le jardin. Il arborait un costume bleu sombre, un habit qu’il ne portait plus depuis plusieurs années. Celui-ci soulignait la droiture de sa démarche qui se déployait sans fluctuation, sans hésitation. Marion leva la tête lorsqu’elle décela cette présence qui approchait. Son retour inattendu soulevait maintes questions et c’est avec un regard interrogatif qu’elle avança vers lui.
— Très heureux de te revoir ! lui dit-il en guise de préambule.
— Bonjour, répondit la jeune fille dans un sourire qui éclaira son visage.
Elle le prit dans ses bras durant quelques instants, puis, impatiente d’obtenir des nouvelles, elle s’enquit :
— Alors ? comment les choses évoluent-elles ? La vie continue-t-elle à gagner du terrain ? Pourrons-nous bientôt visiter sans danger l’ensemble des terres qui restent émergées ?
Angor fit une moue sceptique et répondit :
— Il faudra encore beaucoup de temps ! Tes enfants, peut-être, dans leur grand âge pourront se promener sans protection sur ces terres perdues.
La jeune fille laissa apparaître une grimace, puis un air résigné avant de reprendre gaiement :
— Viens, rentrons voir grand-mère, elle se fatigue de plus en plus vite mais son visage acquiert avec le temps une expression toujours plus sereine ; comme si le grand âge lui permettait de retrouver la paix.
Angor sourit devant l’enthousiasme de sa fille qui, face à l’usure du temps qui marquait le corps, voyait une réalité qui se situait bien au-delà des apparences. Il la suivit dans la maisonnée et la laissa s’approcher la première du fauteuil où reposait celle qui fut le témoin, mais surtout l’un des acteurs, de la renaissance du monde.
La vieille femme ouvrit les yeux et aussitôt un éclair de joie les traversa, elle venait de reconnaître l’un des ses enfants, l’un de ses chéris. Aucun mot ne put sortir de sa bouche mais une larme, subrepticement, coula sur sa joue.